[EDITO] Comment les Game Awards 2023 ont fait du jeu vidéo une triste blague sans considération
La pandémie de Covid-19 a changé pas mal de choses dans le monde du gaming, mais a surtout signé la mort d’un titan : l’Electronic Entertainment Expo.
Ce salon incontournable était l’occasion pour les éditeurs du monde entier de briller, chacun surenchérissant les trailers des autres avec les siens, à grands coups de « World Premiere » à la profonde tessiture et de musiques magistrales. Il n’est pas exagéré de dire que l’E3 a marqué plusieurs générations de joueurs, et suscitait une hype unique en son genre.
L’arrivée du Summer Game Fest aurait en soi pu être une bonne chose, car la fin d’une époque signe inévitablement le début d’une autre. Mais cet événement qui a brillé par son manque de panache se distingue aussi par son organisateur : Geoff Keighley. Cet ancien journaliste passé par Entertainment Weekly et Kotaku a constitué un admirable empire, mais dont le poids fait se lever quelques sourcils. Summer Game Fest l’été et Game Awards l’hiver, c’est là un cycle parfaitement réglé qui fait de Keighley le maître autoproclamé des horloges.
L’aspect déjà discutable du monopole paraît bien moindre face aux polémiques qui ont frappé les Game Awards 2023, certaines avant même le début de la cérémonie. La soirée qui s’est déroulée a vu environ une heure de publicités (dont beaucoup déconnectées du gaming) pour seulement quarante-cinq minutes de trailers. Les discours de remerciement, pièces tout de même importantes pour couronner les remises de prix, étaient plafonnés à quatre-vingt-dix secondes chacun, pour une somme totale d’environ trente minutes.
Au final, les membres de l’industrie qui rendent possibles ces jeux que nous aimons tant sont traités comme une arrière-pensée, une obligation agaçante entre deux publicités. Le prompteur dont les lettres clignaient d’un « Please wrap it up » (« S’il vous plaît abrégez » dans la langue de Molière) narguait des lauréats récompensés qui n’ont même pas été appelés sur scène, alors que Keighley envoyait en salves certaines catégories et leurs vainqueurs, en un laps de temps si rapide qu’on ne comprenait pas ce qui était dit, ou que Bethesda n’aurait même pas eu le temps de sortir une nouvelle version de Skyrim. Il était d’ailleurs assez triste de voir le très respecté Eiji Aonuma être presque éjecté de scène pour laisser place à une nouvelle page de réclame…
Mais les publicités ne sont pas les seules stars de cette cérémonie, bien au contraire.
Fidèle à ses habitudes, Geoff Keighley s’est entouré de grands noms hollywoodiens comme Anthony Mackie, Simu Liu, Matthew McConaughey ou encore Timothée Chalamet, qui est venu pour annoncer le GOTY. S’il était hautement appréciable de voir Simu Liu confesser son amour pour les jeux de stratégie en temps réel et son attente de Stormgate, il est dommageable que les Game Awards ne mettent pas en avant les noms de l’industrie vidéo-ludique.
Quoique, c’est faux, mes excuses. Une personne issue du mariage entre les jeux vidéo et le 7ème art était bien présente, et difficile à manquer : Hideo Kojima. Le game designer est un proche de Keighley, comme celui-ci se plaît à le faire remarquer, et était présent sur la scène des Game Awards pour teaser vaguement son prochain projet, et parler de métaphysique intersidérale à compression anémique. L’histoire d’amour qui lie Hideo et Geoff est certes touchante, mais valait-elle de couper l’émouvant discours de Neil Newborn, ou carrément de ne pas mettre en avant certains travailleurs récompensés ?
C’est là une caractéristique typique de Geoff Keighley et de ses événements : s’entourer de stars hollywoodiennes ou de grands noms de l’industrie en vogue, pour constituer une escouade de choc médiatique. L’année dernière, bénéficiant de l’élan de God of War : Ragnarök, Christopher Judge avait été autorisé à faire un bien long discours dont chaque minute était une couronne de gloire sociale sur les Game Awards.
Jouer le jeu des tendances n’est pas répréhensible en soi, mais Keighley pousse les choses à leur paroxysme ; en 2021, il avait banni Activision-Blizzard de sa cérémonie hivernale sur fond d’affaires de harcèlement sexuel, ce qui est en soi louable. Mais les affaires révélées les années suivantes n’ont pas semblé avoir beaucoup d’impact sur le Summer Game Fest, probablement parce que le plébiscite populaire qui fait réagir le maître des horloges n’a pas été aussi important.
A l’inverse, les quelques 7 000 postes supprimés dans toute l’industrie n’ont même pas été évoqués, ce qui est extrêmement dommage. Lors d’une cérémonie qui encense et célèbre le jeu vidéo, ne parait-il pas logique d’honorer ceux qui ont été licenciés, souvent après les intenses périodes de crunch ayant suivi le Covid-19 ? Manifestement non, si on suit la logique purement financière des Game Awards…
A bien des égards, ces Game Awards 2023 auront été un échec sur toute la ligne, en tout pour ceux qui ne les ont pas organisés. Annonces majoritairement insipides, publicités omniprésentes, interventions à la pertinence discutable et un manque d’égard flagrant envers l’industrie du jeu vidéo, côté travailleur comme consommateur.
La question est désormais de savoir, en tant que joueurs, ce que nous voulons pour l’avenir ; il est indéniable que l’inédite pandémie de Covid-19 a eu des conséquences inattendues sur le monde, et ce au sens large du terme. Alors que la poussière n’a pas encore fini de retomber, mais que des conséquences néfastes apparaissent déjà, une mobilisation de la communauté paraît inévitable si l’on veut éviter que l’égo de certains ne devienne important au point de projeter une ombre néfaste sur les jeux que nous aimons tant.
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