[PGW2016] Interview de Stéphan Euthine, secrétaire général de France Esports
En tant que directeur des events LDLC et secrétaire général de France Esports, Stéphan Euthine a pu profiter de la Paris Games Week 2016 pour partager son expérience, ses connaissances et sa vision du futur, comme nous avons pu vous le montrer. Entretien :
- Lothan : Bonjour Stéphan ! Peux-tu nous faire un résumé de ton parcours esportif, et de comment tu en es arrivé à devenir secrétaire général de France Esports ?
- SE : Ouh, ça va prendre du temps ! Cela fait 17 ans que je travaille chez LDLC, mais c’est en 2009 que mon supérieur m’a demandé de réaliser une étude sur l’eSport. J’ai eu un semestre pour lui remettre un dossier complet, ça m’a pris deux mois. A l’époque, c’était beaucoup trop tôt en France pour suivre le modèle Coréen, on avait ni un public assez développé, ni un cadre juridique suffisamment élaboré. J’ai donc conseillé de sponsoriser des équipes existantes, ce qu’on a fait avec cinq joueuses talentueuses sur Counter-Strike 1.6.
- Lothan : Ça a du être une révolution ! Comme cela a été perçu dans les LAN ?
- SE : Les gens étaient étonnés ! Un groupe de filles avec son matériel estampillé LDLC sous le bras, et notre logo sur leur T-shirt ! Les gens pensaient qu’on était fous, ça a pas mal fait le buzz. Et à partir de là, notre pari était réussi. Le sponsoring de l’équipe Eternity a été un succès, on est très vite devenu une multigaming avec environ 80 personnes qui s’impliquaient à fond dans le projet. Mais on ne pouvait pas professionnaliser tout ça, c’était un trop grand nombre de personnes. On a donc décidé de monter une équipe LDLC et de faire les choses correctement. Et quand on a appelé l’URSSAF pour régulariser tout ce beau monde, ils nous ont ri au nez, sans comprendre qu’on pouvait être payé à jouer à des jeux vidéo. Puis quand j’ai annoncé les salaires moyens, ils ne savaient plus quoi dire [rires]. On a donc établi des contrats de sponsoring envers nos joueurs, pour essayer de combler le flou juridique.
- Lothan : Vous mettiez donc en place les prémices d’un marché régularisé, malgré les obstacles. Malgré tout, j’imagine que ça n’a pas été facile ?
- SE : Honnêtement ? Non, mais on était passionnés et on avait quand même des moyens derrière. Les gens voyaient d’un mauvais œil qu’en France, une entreprise dispose de ses propres joueurs, pour représenter sa marque en tournois. Puis au bout de deux-trois mois, notre équipe a commencé à perfer, à montrer qu’on était impliqués. Sauf qu’à partir de ce moment-là, forcément, d’autres structures ont commencé à piocher dans notre équipe. Quelque part, c’est normal : les équipes américaines offraient des salaires trois à quatre fois supérieurs à ce que nous proposions, et les Etats-Unis, c’est un peu le rêve ! Même si c’était embêtant d’un point de vue esportif, je comprenais nos joueurs, rien ne les attachaient contractuellement à nous. Encore aujourd’hui, on garde contact car c’était une très belle opportunité pour eux, et ils ont su parfaitement la saisir. C’est un des aspects du marché, et ils étaient un peu les hérauts de la France chez l’Oncle Sam !
- Lothan : Du coup, comment avez-vous fait pour garder un niveau mondial ?
- SE : Au bout d’un moment, je me suis dit que s’ils recrutaient deux de nos joueurs, ils en perdaient deux aussi, non ? On a donc fait un switch : ils ont pris nos joueurs, on a pris les leurs – et honnêtement, j’étais étonné qu’ils en séparent, ils avaient un gros niveau ! Pour preuve, sur Counter-Strike, on a remporté la DreamHack Winter 2014 (seule équipe française à l’avoir fait) et les X Games, aux Etats-Unis. C’est toute cette longue expérience, semée de succès et d’embûches, qui m’a donné cette vision globale de l’eSport, depuis ce qu’il est possible d’en tirer aux problèmes que l’on peut rencontrer.
- Lothan : Et aujourd’hui, te voilà secrétaire général de France Esports ! Actuellement, quelles sont vos avancées ?
- SE : On était déjà quelques acteurs majeurs à s’être rassemblés pour parler en huis clos de l’important flou juridique en France concernant l’eSport. Et en début d’année, à l’initiative de Manuel Valls, le gouvernement a décidé de se pencher sur cet aspect des choses. Le premier point positif, c’est que nous savons de quoi on parle, on casse les clichés ; il y a des grosses boîtes, certaines cotées en Bourse, avec des directeurs marketing et d’autres postes « sérieux » qui démontent l’image des geeks asociaux cachés dans leur caverne. On a donc rassemblé les deux plus grosses associations de France, à savoir la Futurolan et la Lyon e-Sport, ainsi que divers médias, tels qu’O’Gaming ou Webedia. C’est un panel varié et sérieux, qui a permis d’engager des discussions déjà fructueuses avec le gouvernement.
- Lothan : Néanmoins, certains craignent que justement, tous ces acteurs majeurs laissent des éléments plus « mineurs » sur le côté. Comme s’il y avait une certaine forme d’élitisme, quelque part ?
- SE : Je peux le comprendre, et on en a parlé dès le début. Mais ça aurait été un bordel de gérer tous ces éléments [rires]. Le fait d’être un petit comité permet de faire avancer les choses étapes par étapes, d’établir une structure sur laquelle tout le monde pourra ensuite se greffer. Quelque part, on est une sorte d’interface. On a ensuite déterminé trois piliers majeurs dans l’eSport : les joueurs, les promoteurs et les éditeurs. Actuellement, seule la première partie n’est pas représentée, bien que Millenium, LDLC ou O’Gaming aient déjà une grande expérience vis-à-vis de tout ce qui touche aux joueurs. Mais très bientôt oui, tous les passionnés de sport électronique pourront s’inscrire à la formidable association qu’est France Esports !
- Lothan : Petite question te concernant, maintenant : comment es-tu rentré dans le monde de l’eSport ?
- SE : A l’époque, le community manager d’Electronic Arts m’avait présenté a Désiré Koussawo, aujourd’hui directeur événementiel chez l’ESL. Je pense que ça a été une rencontre vraiment déterminante dans ma carrière, surtout après les nombreuses discussions passionnées que nous avons eu. Il m’a emmené d’événements en événements, mais malgré l’excitation que je partageais moi aussi, j’ai remarqué qu’il manquait un cadre, une structuration. LDLC s’est efforcé d’apporter ça, comme avec nos contrats de sponsoring par exemple. Au niveau des tournois, nous avons aussi repensé le modèle, pour aboutir… aux Masters du Jeu Vidéo !
- Lothan : Merci beaucoup pour cette interview, Stéphan, et surtout, bon courage pour France Esports !
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