Sexisme : une vague d’accusations de harcèlement sexuel secoue l’industrie du jeu vidéo
Depuis plusieurs jours, de nombreux témoignages de sexisme et de harcèlements sexuels ont émergé, particulièrement dans les secteurs des comics, du catch et par la suite, des jeux vidéo. Comme souvent, c’est sur Twitter qu’ont commencé les premiers témoignages, dès le 17 juin ; ils se caractérisent surtout par le fait que de nombreux streameurs sur Twitch soient nommés. Aussi triste que cela soit à dire, personne n’ignore que certaines personnalités utilisent leur renommée pour séduire, le plus souvent, des jeunes filles pas forcément au fait des risques. Ainsi, le streameur SayNoToRage a publié une vidéo d’excuse suite à des accusations de harcèlement sexuel ; son jeu de prédilection étant Destiny, la responsable des relations publiques de Bungie, Vanessa Vanasin, a pris publiquement la parole pour soutenir les victimes :
I believe all of these brave women who are sharing their stories. Remember, they have nothing to gain by reliving their trauma publicly. Privately, we have not worked with Lono in some time, and it will remain that way.
— Vanessa Vanasin (@Nesskimos) June 20, 2020
ActaBunniFooFoo a lui aussi été accusé d’un viol remontant à 2013, et a expliqué une « colossale erreur de jugement » avant de publier un communiqué d’excuses. Même son de cloche du côté de BlessRNG, streameur ayant travaillé avec Phoenix Labs, ayant reconnu « sa responsabilité » face à une autre affaire similaire.
Il y a quelques heures, le célèbre Dr Disrespect a été banni de Twitch, sans que l’on sache vraiment pourquoi – certaines sources laissent néanmoins entendre que la punition est définitive. Réputé pour son comportement sulfureux (en accord avec son pseudo), le streameur a suscité maintes fois la controverse, et une de plus pourrait avoir été une de trop pour Twitch. Mais la plate-forme en elle-même n’échappe pas non plus à la tourmente : d’anciens employés ont indiqué avoir plusieurs fois rapporté à la direction ou aux ressources humaines des comportement déplacés, sans qu’aucune mesure n’ai été prise. C’est malheureusement un cas classique, où les voix des femmes ont longtemps été étouffées ; l’affaire Weinstein a entraîné un changement progressif des mentalités, mais force est de constater qu’il reste du chemin à faire.
Emmett Shear, le PDG de Twitch, a publié sur Twitter un mail adressé à tous les employés qui, sans invoquer un incident particulier, promet des actions à venir. Mais de nombreux utilisateurs ont pointé du doigt le fait qu’il ne s’agit que de paroles, vues et revues. Quelque chose de plus concret serait effectivement appréciable, surtout que la réaction de Shear est une conséquence d’une polémique publique, et non d’une volonté réelle, semble t-il, de changer les choses.
There’s been a lot of important conversation happening over the previous couple days, and I’ve heard your voices. I’d like to share the email I just sent internally to the company on the topic. pic.twitter.com/B1V34lT9EI
— Emmett Shear (@eshear) June 23, 2020
D’autres grosses boîtes ont aussi été touchées : IGN a par exemple confirmé avoir eu des affaires de ce genre en interne, mais des employés, actuels et passés, ont souligné une réaction relativement rapide de la direction pour y remédier. Cependant, un nom assez connu de l’industrie du jeu vidéo s’est aussi retrouvé mêlé à ces polémiques : Chris Avellone. Célèbre pour son travail d’écriture sur différents RPG, dont Fallout, Avellone était le sujet d’une interview réalisée, justement, par IGN. Mais sous un tweet en rapport avec ladite interview, une utilisatrice appelée Karissa (elle a demandé à ce que son nom de famille ne soit pas publié) a indiqué : « ZERO intérêt pour quoique ce soit venant d’un homme qui passe tellement de temps avec de jeunes femmes (peu importe l’âge), les rend ivres et les emmène dans des chambres d’hôtels, arrive tard à des salons quand il y arrive, et traite ses fans et les membres de l’industrie si mal, il a été blacklisté de au moins une convention« . Karissa a ensuite poursuivi dans d’autres tweets, avançant de plus en plus de détails.
Par la suite, d’autres témoignages ont été recensés, dont un de Jacqui Collins, responsable communication de Valorant. Elle a publié un échange de SMS datant de 2013, où Avellone lui fait effectivement des avances de manière explicites. Face au raz-de-marée, l’auteur a publié un tweet d’excuses envers Karissa, expliquant ne pas avoir eu conscience du phénomène jusqu’à maintenant. La réponse d’Avellone a recueilli un certain soutien auprès de nombreux gamers, et il s’avère que l’affaire est en effet délicate. Y a t-il vraiment eu agression sexuelle ? Si c’est le cas, est-ce fait avec malignité ou s’agit-il d’un malentendu – condamnable bien entendu. Il ne faut certes pas chercher des excuses à des actes répréhensibles… mais est-ce aux internautes de formuler un jugement ? Depuis plusieurs années, les tribunaux d’opinion publique ont de plus en plus d’influence, et il est extrêmement délicat de juger d’une affaire sans avoir tous les éléments, lorsque ceux-ci se résument à des faits éparpillés, souvent fourni par un seul parti. Encore une fois, il ne s’agit pas de minimiser les actes ou accuser les victimes, mais la retenue est plus que de mise dans ce genre de situation.
@SJBsMama Then talk to me? I never meant any harm to you or Jackie, and I had thought things between us had ended well all up until seeing you off. That said, if I can’t do anything to apologize for it, I understand, and there’s nothing more to be done. pic.twitter.com/ng4Pn6ca5J
— Chris Avellone (@ChrisAvellone) June 20, 2020
Le fait est que les conséquences se sont déjà faites sentir pour Avellone. Rattaché à l’écriture du jeu The Waylanders, l’auteur a été remercié la semaine dernière suite à la fin de son contrat. Gato Studio a néanmoins précisé que tout le travail fourni par Avellone allait être examiné minutieusement – en quête de quoi, on l’ignore.
The team here at Gato Salvaje spent the past few days reading the stories shared online and reflecting. We have prepared the following statement with regards to the allegations made against Chris Avellone. pic.twitter.com/GTPjJcXfOs
— Gato Studio (@GatoStudioGames) June 22, 2020
Paradox Interactive y est aussi allé de son communiqué, expliquant que Avellone avait « brièvement travaillé avec l’équipe d’écriture de Bloodlines 2 au début du développement du jeu. Cependant, aucune de ses contributions ne sont présentes dans le jeu que Hardsuit Labs développe« ‘. Il s’agit clairement d’une manière pour l’éditeur de se distancer de son célèbre auteur ; si la décision est justifiable d’un point de vue de relations publiques, pour éviter une polémique néfaste, de nombreux joueurs ont indiqué en réponse au tweet ne plus vouloir acheter le jeu et, dans le futur, supporter les publications de l’éditeur. Idem avec Techland, qui ne souhaite plus associer Avellone avec le futur Dying Light 2. Là aussi, les réactions de la communauté n’ont pas été tendres avec l’éditeur…
Here’s the statement regarding our cooperation with Chris Avellone: pic.twitter.com/ozLXZdVPZw
— Techland (@TechlandGames) June 22, 2020
Enfin, Ubisoft aussi a été impliqué dans cette vaste polémique. L’éditeur français a publié un communiqué suite à de nombreuses accusations envers des employés masculins ayant utilisé leur position pour harceler sexuellement des collègues. Récemment, c’est le directeur créatif de Assassin’s Creed : Valhalla, Ashraf Ismail, qui a pris un congé indéterminé après avoir trompé sa femme pendant un an avec une streameuse. Encore une fois, les avis sont assez divisés quant à la pertinence de régler ce genre d’affaire en public surtout que, dans ce cas précis, il ne semble pas y avoir de harcèlement sexuel mais plus un problème entre deux individus majeurs. L’éventuel abus de position est, quant à lui, plus du ressort d’un tribunal ou d’un RH que de Twitter.
Un post sur Medium recense les récentes accusations relatives au monde du jeu vidéo, avec un axe majeur sur Twitch. Plus de 60 hommes sont impliqués, et on imagine que d’autres le seront dans les semaines à venir. Si l’on déplore ces attitudes qui persistent depuis des décennies, il est néanmoins important de prendre du recul sur ces déclarations et d’éviter de polémiquer inutilement. Que ce soit d’un côté ou de l’autre, il a déjà été vu par le passé combien Internet pouvait être dommageable, et bien souvent plus dans la rapidité que l’efficacité.
Cette impressionnante vague de témoignages n’est, malheureusement, qu’un important symptôme de plus du sexisme profond qui ronge de nombreuses industries, dont celle du jeu vidéo. En décembre dernier, Riot Games avait dépensé 10 millions de dollars afin de régler plusieurs plaintes en justice ; les employés avaient reçu de nombreux soutiens de la communauté, tandis que la parole commençait à se libérer. On se rappellera aussi, en novembre 2017, des propos profondément sexistes de la communauté de jeuxvideo.com et surtout, de la complaisance de ses dirigeants. L’affaire avait fait pas mal de bruit et surtout, avait mis en exergue le fait que des actes et paroles sexistes demeuraient globalement impunis. Même si un changement a été observé depuis peu, à l’échelle mondiale, il risque encore beaucoup de travail à faire…
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